NOUVELLE-ZELANDE, ÎLE DU NORD: PÊCHE

 

LES   GUIDES   DE   PÊCHE

Avant de me lancer dans la narration de mes aventures halieutiques, je souhaite ici écrire quelques lignes au sujet des guides de pêche.

Mis à part pour la pêche du saumon, nous n’avons pas de tradition de pêche guidée de la truite en Europe contrairement aux Etats-Unis. En ce qui me concerne, je suis clairement redevable à M. Stéphane POËNCET, pour le nommer. C’est un guide de pêche à la mouche de la région frontalière à Genève mais qui guide dans bien d’autres régions. J’ai débuté la pêche à la mouche et le montage des mouches, il y a huit ans de cela, en sa compagnie et je pense être réellement devenu un pêcheur à partir de ce moment. Auparavant, j’ai essayé d’apprendre à pêcher à la cuillère et aux vers en autodidacte, en lisant des revues et des livres, et aux contacts d’autres pêcheurs mais avec des résultats plus que modestes. La connaissance de la pêche à la mouche a son importance car c’est de plus en plus cette technique qui est utilisée pour la pêche des salmonidés dans le monde et parfois la seule autorisée. A l’heure actuelle, je pense que jamais je n’aurai entrepris un tel voyage si je ne pêchais qu’à la cuillère ou « au  toc » (pêche aux appâts naturels).

Par la suite, mes nombreux voyages de pêche dans le monde m’ont amené à souvent bénéficier de leurs services En tout, j’ai pêché avec plus de vingt-cinq guides de pêche dont sept rien que pour la Nouvelle-Zélande. De manière générale, je n’ai jamais regretté d’avoir pris un guide, même si cela peut coûter assez cher, car ils m’ont appris de nouvelles techniques, transmis quelques secrets et surtout amené dans des endroits où, soit je n’aurai jamais eu l’idée de venir, soit je n’aurai pas pu y accéder par manque de moyen (comme d'un bateau) ou de la connaissance du propriétaire riverain.

La fréquentation de nombreux guides de part le monde m’a rendu exigent à leur égard. J’attends d’eux beaucoup plus qu’une simple aide à prendre du poisson. A mon avis, un bon guide doit, certes, avoir une connaissance aiguë du réseau fluvial de sa région et des techniques de pêche adaptées à cette région, mais il doit aussi connaître les propriétaires riverains, les règlements de pêche, les événements majeurs ayant affecté une rivière les années précédentes et pendant la saison actuelle (grosses crues, modification du lit de la rivière, travaux, pollution, alevinage), être fiable dans son organisation (réservation des hôtels, du parcours, véhicule en bon état, …) et finalement être doté d’un bon sens et d’un peu de psychologie humaine pour établir un lien avec son client. S’il est en plus jovial, de nature positive avec le sens de l’humour et qu’il cuisine bien, ce sera un plus appréciable mais là, je suis conscient que j’en demande trop. La force d’un guide est d’être un traducteur de  son environnement de manière à mettre toutes les chances de prendre un poisson du côté du client. Il nous fait ainsi la courte échelle qui nous permet d’accéder plus rapidement au paradis  de la pêche, et le temps, c’est précisément ce qui nous manque quant nous sommes touriste.

Il est certainement orgueilleux de notre part d’espérer, en quelques jours, qu’une rivière qui nous est inconnue nous livre ses plus belles pièces et ses secrets sans l’aide de quelqu’un qui la connaît. Ou alors, il faut savoir se contenter de résultats modestes, compter sur la chance et … revenir l’année prochaine.

J’ai particulièrement ressenti ce qui précède pendant mon séjour en Nouvelle-Zélande où j’ai vécu mes plus belles journées de pêche grâce aux guides, et croyez-moi qu’ils n’ont pas eu la tâche facile compte tenu des mauvaises conditions météorologiques qui m’ont suivi pendant tout mon séjour. Mes pêches en solitaire se sont révélées désastreuses et cela était de même pour les autres pêcheurs que j’ai croisés en chemin ou dans les lodges. J’étais alors bien content d’avoir mes jours de pêche réservés avec un guide, surtout quant vous l’entendez répondre au téléphone à plusieurs touristes dépités qu’il est complet jusqu’en mai ! En retour, j'estime qu'il est normal que le client garde pour lui les secrets que lui a confié le guide car, après tout, c'est son gagne pain et nous souhaitons pouvoir jouir d'une même qualité de pêche les années suivantes.

Quelques lignes encore au sujet des guides néo-zélandais pour souligner leur profond sens de l’éthique de leur profession, leur incomparable honnêteté, leur poigne soutenante pour traverser une rivière ou remonter sur la berge, leur gentillesse et leurs encouragements quant vraiment rien ne va plus. Oui, je tiens ici à chaleureusement les remercier, et maintenant passons aux récits.

 

Liste d’adresses des guides de pêche néo-zélandais :

Jeff  JONES                Queenstown              jeffjones@fishing.co.nz                                 www.fishing.co.nz

Alan CAMPBELL        Omarama                glenburn.park@xtra.co.nz                          www.griffler.co.nz/glenburn

Ian  MURRAY              Te Anau     Sportshop

Silvio  CALDELARI           Westport          silvio@fishnewzealand.com                                      www.fishnewzealand.com

Ross  HAMILTON       Turangi         markh@dstreams.co.nz       www.dstreams.co.nz

Mark  DRAPER           Opotiki       mark.draper@xtra.co.nz                                                        www.tsuribaka-fishing.co.nz/markdraper/   

Bob  ASH      2/75 Williams Rd      Paihia   -   Nouvelle-Zélande                                             (pas d’e-mail et de site Internet)

 

Silvio  CALDELARI

Silvio est un jeune mais talentueux guide qui m’a été conseillé par M. Ami TISSIÈRES en Suisse.

C’est un Valaisan marié à une charmante Néo-Zélandaise répondant au nom de Sheralyn. J’ai passé dix jours de pêche en sa compagnie, dix jours qui vont  assurément compter dans ma vie de pêcheur car avec un jour de pêche du kahawai  et trois campings de trois jours chacun, il m’a vraiment offert les aventures de pêche que j’attendais de ce pays.

LA   PÊCHE   DU   KAHAWAI

Le kahawai* (prononcé kawaï) est vraiment l’équivalent de la truite de rivière pour la mer avec son dos tacheté, son poids allant de un à quatre kilos et sa combativité, il porte bien son nom latin : Arripis trutta. Nous l’avons pêché à la mouche en bateau dans l’estuaire de la rivière Buller. Ce fut un succès grâce à de petits streamers argentés en époxy et une soie plongeante. Une dizaine de ces poissons d’un poids moyen de deux kilos furent pris après de bonnes batailles et moult sauts car le kahawai est vraiment un acrobate contrairement au kingfish (Seriola lalandi). Ce fut une bonne mise en forme avant d’affronter la truite de rivière.

*J’ai préféré garder les noms anglais n’ayant pas trouvé les noms francophones correspondant. Entre parenthèse, j'ai mentionné le nom scientifique latin.

« L’INCROYABLE »  ou « LA   LÉGENDAIRE »

Nous sommes ensuite partis trois jours camper au bord de cette petite rivière et croyez-moi que l’accès au lieu du camping était déjà en soi une épopée. Ce vieux chemin utilisé dans le temps par les chercheurs d’or a souffert de l’érosion due aux crues et restait à peine praticable par endroit. A plusieurs reprises, Silvio m’a demandé de l’aider à guider sa voiture tout terrain sur la bonne pierre ou souche pour passer. Il est évident que jamais je n’aurai osé m’aventurer seul dans un pareil lieu et risquer d’endommager la voiture de location. D’ailleurs, le chemin fut définitivement fermé par mesure de sécurité quelques semaines après que nous soyons partis.  C’est la raison pour laquelle j’ai pensé la surnommer « la légendaire » car il ne fait aucun doute pour moi qu’elle ne sera plus que très rarement pêchée à l’endroit où nous étions. Le terme d’incroyable lui a été attribué en raison des stupéfiantes surprises qu’elle nous a réservées.

A la voir en nature ou même sur photo, elle ne paye pas de mine et paraît tout ce qu’il  y a de plus banal. Nous l’avons donc pêché trois jours avec deux coups du soir. Plus de vingt truites ont été repérées quotidiennement et pêchées mais aucune n’a  daigné s’intéresser, ne serait-ce que pour aller voir, à nos mouches. Les truites  étaient bien  là et même de taille respectable pour certaines mais elles étaient parfaitement inactives. Le soir, la rivière était comme morte ! Inutile de dire que ce genre de situation est réellement très éprouvante, autant pour le pêcheur que pour le guide. La frustration a fait place à l’incompréhension car je savais que je pêchais correctement et que parmi la trentaine de mouches en tout genre essayée, il devait bien y en avoir une de bonne. Et bien non, que nenni, rien, rien et rien, pas une seule misérable truite n’a voulu mordre pendant toutes ces journées et ces soirées !!! Incroyable, mais à la nuit tombée, ce que nous avons vécu fut encore bien plus incroyable.

Alors que nous revenions au camping pour nous coucher, complètement dépité par cette première après-midi de pêche, Silvio me proposa de pêcher un pool à la souris. Après avoir tout essayé, pourquoi pas pensais-je. Depuis mon séjour à S. C. de Bariloche (Argentine) en février dernier, je garde toujours une ou deux souris avec  moi. Ce sont naturellement des imitations comme vous pouvez le voir ci-dessous. Je gardais notamment une souris noire achetée en Argentine et que je trouvais si belle que je ne l’avais jamais utilisée. C’était mon porte-bonheur  et le bon moment de la mettre à contribution. C’est ainsi que par une nuit d’encre, au premier lancer, à peine trois secondes après que ma souris ait touché l’eau que j’ai ferré ma première truite au son sonore d’un magistral gobage : VRAOUF ! Je compris tout de suite que   j’avais à faire à une vraie mémère, un bolide dirait Silvio, et la bataille à l’aveugle fut serrée surtout au délicat moment de la mise à l’épuisette. A la pesée, elle accusait ses dix livres ou quatre kilos et demi ce qui constitue un trophée en Nouvelle-Zélande. Au moment de la photo, j’ai eu la surprise de constater qu’elle avait une toute petite  queue (non, ce n’est pas une plaisanterie) ce qui rendait sa prise en main difficile et surtout signifiait que cette truite était encore jeune et que son poids trahissait surtout une petite tendance à l’embonpoint (elle était effectivement épaisse). Puis ce fut la remise à l’eau et les congratulations de Silvio. Je l’entends encore me dire que certains pêcheurs reviennent plusieurs fois en Nouvelle-Zélande et dépense parfois plus de cinquante milles $NZ  pour sortir une truite trophée. Une telle émotion agit comme dix ristrettos et j’ai eu bien du mal à trouver mon sommeil.                                                                                          

Le jour suivant nous rappela nos frustrations de la veille de sorte que je tentais de pêcher à la souris en fin d’après-midi. Une grosse truite suivit ma souris et quelques minutes plus tard elle fut happée à peine eu-t-elle touché l’eau … mais l’hameçon était cassé, probablement sur les cailloux lors de faux lancers. Silvio, qui ne savait pas que l’on peut pêcher à la souris même de jour, a pris une leçon qu’il n’est pas prêt d’oublier. A la tombée du jour je piquais une énorme truite dans un pool connu pour être habitée par une truite évaluée à un mètre. Elle cassa au ferrage mon bas de ligne en trente centièmes que j’utilise pour pêcher le saumon !!! C'était peut-être la plus grosse truite qu’il ne me sera jamais donné de ferrer dans ma vie. Dans ce même pool, je sortis une « petite » truite de plus de trois kilos puis une autre un peu plus grosse vingt mètres en amont.

A onze heures quinze de la nuit, Silvio me proposa de rentrer mais je venais d’entendre le remous d’une grosse truite un peu en amont et je suis revenu en amont du pool pour repeigner le pool avec ma souris. Juste quelques lancers rapides, disais-je à Silvio. Et soudain, j’entendis à nouveau ce bruit sourd de la truite qui se jette sur la souris en surface et la happe. Ferrage et combat. Cette fois c’était du sérieux et je sus à la nage calme mais puissante que cette truite là était encore plus grosse que le trophée de la veille. A chaque fois que je la ramenais au bord et que nous allumions nos lampes pour la mise dans l’épuisette, elle repartait de plus belle me prenant irrépressiblement toute ma soie et une partie du bang. Je craignais qu’elle ne dévale  la rivière ou se cache derrière une souche mais dès que nous éteignions nos lampes, elle se calmait et se laissait ramener à nous. Ce manège dura une bonne demi-heure jusqu’à ce qu’elle fut enfin à portée de l’épuisette. Silvio la manqua la première fois et je l’entends encore me crier « elle est grosse, je n’arrive pas à la faire rentrer dans l’épuisette ». Quand un guide chevronné vous dit ça, vous savez déjà que vous avez à faire à une truite inhabituelle et mon sang ne fit qu’un tour. C’est que dans l’obscurité, je ne l’avais toujours pas vue. Au bord de la crise de nerfs, nous avons quant même réussi à l’introduire dans l’épuisette. C’était un vrai monstre. Elle écrasa, tout simplement, de son poids le ressort du peson de Silvio de sorte qu’il fallut le ré étalonner d’un kilo pour connaître son poids. Quinze livres ou 6,75 kilos !!! De loin ma plus grosse truite, une magnifique fario … et toujours une petite queue ! Donc c’était encore une truite jeune n’ayant pas fini sa croissance  et très obèse ! Elle eut la bonne idée de se tenir tranquille pendant la séance photo, claquant sa mâchoire par moment, et quand elle repartit avec son air de matrone, la robe légèrement écaillée et le narcisse étiolé, elle nous donna l’impression de dire à ses consœurs : « personne n’a rien vu, n’est-ce pas ? »

15 livres; 6,750 kilos, vous vous rendez compte ? Il m’a fallu du temps pour estimer à sa juste valeur une telle truite. Par comparaison, les autres guides de pêche fréquentés n’avaient jamais pris une truite de ce poids. Ce poisson est d’autant plus remarquable qu’il n’a certainement jamais été en mer. Le secret de ce poids et de cette rivière tient en six lettres :« souris ». En effet, certaines régions de Nouvelle-Zélande  ont bénéficié de la floraison des hêtres deux années consécutives (au lieu d’une fois tous les six ans) et à chaque fois, ce phénomène est accompagné d’une prolifération de souris dont les truites se gavent. Cette nourriture très riche explique pourquoi elles ne se nourrissaient pas pendant la journée ainsi que leur poids exagéré. En temps normal, la première truite aurait pu peser peut-être huit livres et la dernière onze ou douze livres. Quoiqu’il en soit, il s’agissait d’une truite exceptionnelle qui hantera encore longtemps mes rêves. J’attends cependant encore de prendre une truite de dix kilos, mais celle-ci je l’attraperai certainement en Patagonie et elle aura probablement séjourné en mer ou dans un lac pour atteindre un tel poids.

« LA   SECRÈTE »

J’avais demandé à Silvio de me faire vivre une vraie aventure et il connaissait justement une rivière pratiquement jamais pêchée. Elle coule en effet des jours heureux dans un parc national où les hélicoptères n’ont pas le droit de s’y poser. D’autre part, il n’existe aucun sentier qui l’approche de près ou de loin. C’est donc un vrai petit bijou que même Silvio n’avait jamais pêché. Une rivière intacte avec des truites sauvages n’ayant peut-être pas vu l’ombre d’un pêcheur et encore moins d’une mouche artificielle. Oui, ça existe encore mais cela devient extrêmement rare. Il y a bien quelques pêcheurs très sportifs, surtout parmi les Néo-Zélandais, qui n’ont pas peur de remonter une rivière pendant plusieurs jours avec cannes, tente, nourriture, … j’en ai rencontré, mais il faut du temps, beaucoup de courage et tout de même une excellente condition physique. Bref, en ce qui nous concerne, nous avons pu gagner du temps en nous faisant déposer en hélicoptère de l’autre côté de la rivière principale, en dehors du parc national. De là, nous avons remonté puis traversé en canot  pneumatique la rivière principale et préparer le camping à proximité de l’embouchure de « la secrète ». Nous avons pris le même chemin pour le retour.

Voilà typiquement le genre d’expédition que le touriste ne peut pas organiser sans les connaissances, l’aide et le matériel d’un guide et pas tous les guides ne se lancent dans ce genre d’expédition. Alors pour un premier voyage de pêche en Nouvelle-Zélande, je me sens vraiment très privilégié.

« La secrète » est une petite rivière de dix à quinze mètres de large, relativement facilement traversable à gué, avec une succession régulière de pools et de rapides. Elle est bordée d’une forêt de hêtres avec de grands rimus et des fougères arborescentes et plus petites sous la canopée où il était facile et agréable de marcher. Silvio y a aperçu un grand cerf et nous avons eu la visite de marsupiaux arboricoles (importé d’Australie) s’approchant de nous jusqu’à quelques mètres pendant nos soupers au camping. J’étais au Paradis et c’était déjà bien comme ça.

Nous avons pêché deux jours et demi dans ce sanctuaire naturel et j’ai vraiment vécu ce que la pêche peu nous offrir de meilleure en émotions. C’est vraiment incroyable la densité de grosses truites de deux à trois kilos et l’absence de truitelles et de nos truites standards d’un misérable vingt-cinq à trente-cinq centimètres. Je pense que ces grosses truites prennent possession de la meilleure partie de la rivière et repoussent en amont ou dans la rivière principale les plus petites. Elles règnent là dans leur pool qu’elles se partagent parfois à deux ou trois et ne craignent aucun prédateur à part l’homme. Justement, nous étions là et elles étaient à table … mais que jusqu’à quatre heures, car après cela, elles avaient disparues et nous n’avons jamais pris de truite après cette heure. Donc, pas de coup du soir non plus, rien du tout, le calme plat. Étrange non, et le même phénomène se produisit  sur « les jumelles » les jours suivants.

Nous avons mis à l’épuisette en moyenne six à sept truites par jours et manqué autant au ferrage, toutes pêchées à la nymphe à vue. Silvio a filmé l’action de pêche et pris des photos en surface et sous l’eau pour certaines. J’espère ainsi monter un petit film vidéo à mon retour. D’ici là, vous pouvez admirer les photos ci-contre et à la page photos. Ces truites étaient de redoutables adversaires qui sautaient et ne craignaient pas de dévaler la rivière. Je peux dire qu’elles m’ont toutes fait courir et donner du fil à retordre mais qu’elle immense joie quand enfin vous la tenez. Elles ont naturellement toutes rejoint leur élément. On m’a souvent alors demandé pourquoi les pêcher ? Un homme sage a dit que chaque jour passé à la pêche n’est pas déduit de la vie. Je vous laisse méditer cette phrase.

Laissez-moi aussi vous raconter deux histoires insolites. La première concerne une vieille truite. Silvio fut très surpris de l’apercevoir pratiquement à ses pieds alors qu’il scrutait le milieu de la rivière en la remontant. Elle ne partit même pas se cacher ce qui est inhabituel. Elle me rappelait ces truites de pisciculture qui viennent d’être  immergées dans les réserves du Val d’Aoste et qui se tiennent en bordure du courant en raison de leurs nageoires atrophiées et de leur manque de force musculaire. Mais là, dans cette nature sauvage, c’était curieux. Je posais mollement une royale Wulff à quelques centimètres de son nez et elle s’en saisit tout aussi mollement. Très bref combat. Elle avait la nageoire caudale abîmée (après le frai ?), la robe blessée par des champignons, une tête disproportionnée par rapport au corps et pas de bécard. Certainement une vieille truite femelle à la veille de son trépas. Nous l’avons aussi remise à l’eau pour que son destin suive son cours. Mais vous, pêcheurs, avez-vous déjà vécu une telle situation avec un poisson sauvage ? Pour moi, c’est une première.

La deuxième histoire concerne une anguille. Il est, en effet, fréquent d’être inquiété par une grosse anguille qui vient renifler vos chaussures dans l’eau à la nuit tombée. Elles sont parfaitement inoffensives mais personne n’aime trop vivre cette aventure dans l’obscurité. Et bien voilà qu’en plein jour, à cinq heures de l’après-midi, une de ces anguilles se prend la lubie d’aller renifler mes pieds. Je joue un moment avec elle à lui gratouiller le nez pendant que Silvio filme la scène  puis, comme j’ai la canne dans ma main, je laisse tomber ma nymphe à proximité … qu’elle saisit. On connaissait la pêche de l’anguille à la vermée mais à la nymphe !!! C’est tout à fait étonnant. Il est possible que ce soit l’odeur de la dernière truite sur la nymphe qui l’ait poussé à mordre. Quoiqu’il en soit, la bagarre avec une anguille d’un mètre sur une canne à mouche est une expérience palpitante car elle a beaucoup de force, est très obstinée et cherche par tous les moyens à se faufiler dans les trous. Par contre, elle  ne saute pas ! La curiosité, dans son cas, lui a été fatale car elle a fini dans nos assiettes et je vous prie de croire qu’avec des patates, une sauce hollandaise, du citron, du vin blanc frais après une extraordinaire journée de pêche et encore la visite de marsupiaux arboricoles sans oublier la compagnie du conteur incomparable qu’est Silvio … ce fut somptueux. Cela m’a en tout cas aidé à momentanément  oublier mon gruyère natal.                                     

« LES JUMELLES »

Le dernier camping avec Silvio fut un peu plus facile, car l’hélicoptère nous a directement déposés sur le lieu de pêche. Nous avons pêché la branche nord et sud de cette rivière qui ne se ressemblent pas du tout, ce sont donc de faux jumeaux. La branche nord est très sauvage et peu pêchée car sa vallée est étroite et à souffert du dernier tremblement de terre de sorte que par endroit, son lit est encombré d’énormes roches, raison pour laquelle je l’ai aussi surnommée « la cataclysmique ». Elle aussi regorge de grosses truites mais comme il avait plu la veille et que l’eau était teintée, nous n’avons pris que quelques truites. Nul doute, cependant, que l’on peut y faire des pêches mythiques.  

                                                    

La branche sud, par contre, est beaucoup plus sage et serpente dans une vallée évasée aux galets polis. Elle mériterait l’appellation de « la paisible ». Nous y avons fait une très bonne pêche de truites également de deux à trois kilos de toutes beautés.

Les derniers jours de pêche avec Silvio, j’avais pris tellement de belles truites et vécu des aventures inoubliables que j’avais mon quota de bonheur. Je pêchais alors sereinement sans être trop nerveux à la vue d’une grosse truite et crispé à l’idée de la perdre. C’est un moment de grande plénitude que je souhaite à tous les pêcheurs.

Je ne remercierai jamais assez Silvio pour s’être donné autant de peine et m’avoir permis de vivre les meilleures aventures de pêche de la truite qu’il ne me sera donné de vivre peut-être de toute ma vie. Cela me paraît difficile de faire mieux.

                                           

 

Ross  HAMILTON

Comme d’habitude, je suis arrivé à Turangi avec un déluge et les rivières étaient pour la plupart impêchable suite aux crues de sorte que le premier jour j’ai été avec un  autre guide, ami de Ross, pêcher dans un lac voisin. Nous n’avons pas pris une truite mais vécu un extraordinaire événement que ce guide n’avait jamais vu de sa vie. Il y avait une éclosion phénoménale de libellules rouges qui couvraient tout ce qui était immergé, le bateau et nous y compris. Le lac était également couvert de libellules mortes ou agonisantes mais curieusement, nous n’observions aucune activité en surface. Par contre, les truites laissaient entrevoir leur queue quand elles chassaient sous la surface les larves de libellules. Elles étaient tellement absorbées par cette chasse qu’elles en oubliaient notre présence et s’approchaient de nous à quelques mètres. Toutes nos imitations de larves de libellules ont été essayées mais aucune ne plut aux truites qui se montraient hyper sélectives. La frustration était immense car les truites étaient à table, à portée de ligne et nous savions ce qu’elles recherchaient et pas moyen de les faire mordre à nos imitations des heures durant. Le plus drôle, c’est que les larves grimpaient le long des wadders jusqu’à la casquette où elles éclosaient. Les photos sont là pour en témoigner.

La pêche les jours suivant avec Ross furent tout aussi difficile car nous avons pêché des sources et de toutes petites rivières encombrées en végétation et aux pierres glissantes. Je garderai particulièrement en mémoire une truite qui nous a donnés beaucoup de fil à retordre. Ross était très surpris de ne pas voir plus de truite dans cette petite rivière de sorte que quand nous en voyons une, nous faisions tout pour ne pas l’effrayer et la faire mordre. C’est ainsi que Ross en repéra une en activité qui se tenait presque sous une branche juste à la coudée de la rivière. Nous avons essayé de la prendre avec plusieurs type de mouches sèches sans résultat alors nous avons mis une nymphe, puis une autre et ainsi de suite. Je vous laisse imaginer l’état de tension compte tenu de la difficulté de lancer, de mon équilibre précaire sur ces cailloux glissant et de cette truite qui nous narguait en disparaissant de temps en temps pour réapparaître quelques minutes plus tard. Mais finalement nous l’avons prise à la nymphe à vue et photographiée, ouf! Elle est le parfait exemple de la difficulté de pêche que j’ai rencontré, non seulement avec Ross, mais pratiquement pendant tout mon séjour. Avis aux amateurs !

 

Mark  DRAPLER

Quand Mark me proposa d’aller pêcher en mer depuis la côte, je pensais que nous allions pêcher de petits poissons et je dois avouer que je n’étais pas très enchanté.

Ensuite, il a fallu marcher une heure à l’aller et pareille au retour avec chacun un lourd sac au dos contenant moulinet, pic-nique, boissons, appâts pour attirer le poisson, plusieurs cannes à pêche et une épuisette démesurée. Le sentier était mal défini et la pente si raide que je craignais de glisser et de me tordre une cheville à chaque pas. Finalement, nous sommes quand même arrivés sur son bout de rocher.

L’action de pêche est diamétralement opposée de celle de la truite car le but du pêcheur est d’attirer puis de retenir kahawais et kingfishs qui croisent dans les environs. Alors nous avons improvisé une authentique fête foraine sous-marine à nos pieds en jetant régulièrement un mélange de pain et de poissons écrasés qui immanquablement  attirait une nuée de petits poissons mais aussi des raies et de grosses pastenagues qui nous ont fait un vrai balai à nos pieds pendant toute la première journée. Une petite plongée dans ces eaux aurait certainement valu la peine.

Nous avons ensuite préparé trois cannes à mouche pour soie # 8, # 10 et # 14 ! Le premier kahawai pêché fut accroché à une ligne suspendue à un ballon de baudruche … au cas où un énorme kingfish se prendrait d’une petite faim. Cela donne déjà une idée de la taille qu’ils peuvent atteindre. Enfin, ils daignèrent nous rendre visite,  parfois seul, parfois en groupe de trois ou quatre mais jamais longtemps. Ils étaient très peu agressifs le premier jour et nous n’en avons sorti que cinq et perdu autant. Au bout de la ligne, ils sont très puissants et cherchent par tous les moyens à passer derrière une pierre, par contre, ils ne sautent pas. Le plus gros pesait dans les dix kilos mais il y en a de beaucoup plus balaise me certifiait Mark.

Le deuxième jour, toujours sur la Côte Est mais sur un autre promontoire rocheux, nous avons répété le même cirque que la veille mais cette fois les kingfishs se firent attendre. Soudain, j’en aperçu un énorme qui longea le bord à mes pieds. J’avoue  que j’ai reculé par peur car je pensais que c’était un requin. C’était un gigantesque kingfish solitaire, de plus de vingt kilos selon Mark, qui fit place nette parmi les blues  maomaos (Scorpis violaceus). Tremblant d’émotions, je jetais maladroitement ma mouche à cinq mètres de moi. Qu’importe, il se jeta dessus et avala le streamer de  dix centimètres tout rond. J’ai ferré trop vite et le lui ai arraché de la gueule. J’en étais marri mais Mark me recommanda de rejeter le même streamer illico presto ce que je fis à mes pieds. Il revint directement dessus et repris le streamer en me regardant droit dans les yeux. Ce n’est pas vraiment une attitude de salmonidés et j’aime mieux vous dire que c’est une expérience qui vous laisse tout chose. Il partit comme une locomotive et je faillis le suivre car le frein était très serré sur cette canne pour soie # 14 appartenant à Mark. A quelques cinquante mètres, il dut se loger derrière un  rocher et la ligne finit par céder. Mark me consola en me disant que cela arrivait fréquemment avec de pareille monstre et qu’il faut un peu de chance pour en sortir un. A l’heure actuelle, c’est encore mon plus gros poisson pêcher à la mouche depuis terre ferme.

Il nous arriva encore une autre aventure ce jour là. Alors que l’après-midi se déroulait de manière fort calme, un immense snapper (Pagrus auratus) de passer les quinze kilos monta en surface, recracha un blue maomao machouillé et s’attaqua à notre kahawai de deux kilos !!!  Du jamais vu pour Mark qui se jeta sur une de ses cannes à lancer et l’apprêta avec un petit maquereau vivant pêcher ce matin. Le snapper est un poisson de fond et il est rare de le voir en surface. Il pèse habituellement dans les  deux kilos mais d’énormes snappers sont parfois pêchés, généralement en bateau, qui pèsent plus de quinze kilos. Celui là aurait pu constituer un record du monde pour la pêche à la ligne depuis le bord selon Mark. A nouveau nous avons eu la chance de le piquer. Mark me passa la canne quand il le sentit mordre et je l’ai ferré. Puis ce fut une lutte de fond car le snapper ne fuit pas comme le kingfish mais a tendance à rester scotché au fond. Ce jour là, nous n’avions que de la malchance car le nœud d’attache à l’hameçon se défit et nous avons perdu cette extraordinaire prise. Cette fois c’est Mark qui s’en mordait les lèvres car c’est lui qui avait fait le nœud mais trop rapidement certainement. Je ne lui en veux absolument pas car nous avons vécu une journée mémorable ensemble.

Sur le chemin du retour, je lui ai quand même demandé pourquoi il n’avait pas ferré lui-même le snapper. Il me répondit que le record du monde n’aurait pas pu être homologué à mon nom. Je lui ai répondu qu’on aurait pu mentir et que je lui aurais même laissé le privilège de le sortir lui-même. Ah non ! C’était vraiment trop en demander à ce guide à l’éthique parfaite. Jamais il n’aurait menti et seul le client pêche le poisson ! J’ai toujours senti une parfaite honnêteté chez les guides de pêche néo-zélandais et j’en avais maintenant un exemple. Nous autres latins, nous pourrions en prendre de la graine.

Bob  ASH

Deux noms de trois lettres chacun mais qu’elle somme d’expériences de la pêche en mer. Avec son petit bateau, « little toot », qu’il manœuvre seul, Bob inspire confiance.

Je lui ai téléphoné une semaine avant, suivant le conseil de Mark, et j’ai eu beaucoup de chance qu’il soit disponible. Mon objectif était de prendre un marlin mais je n’y croyais pas trop parce qu’il faut un peu de chance pour en piquer un et tout autant  pour le ramener au bateau même quand c’est la saison du marlin. Et puis, j’avais l’impression d’avoir été tellement gâté alors pourquoi dame Nature m’offrirait-elle encore un marlin avec un unique jour de pêche ? Mais voilà, les dés étaient jetés pour un prix défiant toute concurrence.

La mer était loin d’être calme et les énormes appâts imitant des seiches sautaient sur les vagues. J’étais dans mes rêveries quand soudain le moulinet chanta, puis plus rien. Un marlin s’était saisi de l’appât et décroché. Alors Bob fit demi-tour et peigna à nouveau le secteur. C’est alors que le miracle se reproduisit : un marlin, peut-être le même, mordit de nouveau et le moulinet (Tiagra 80) reprit son chant mélodieux. Il était dix heures et les choses allèrent alors très vite. Je me mis sur le siège de combat et passais le harnais derrière mon dos puis Bob me passa la canne. Le marlin fila à grande vitesse et sauta à plusieurs reprises à plus de cent mètres du bateau. Quel magnifique lutteur, cela change de la pêche fine de la truite et même du kingfisch. Une chose est certaine, pour ramener un tel poisson au bateau, il faut la ferme détermination de se battre et de le vouloir ce poisson, parce qu’il ne vient vraiment pas tout seul.

 Ainsi nous nous sommes battus, moi à la force de mon dos et lui de toute sa puissance. Et il sauta, sauta et sauta puis sonda. Je fut vraiment vexé quand Bob l’estima à cinquante kilos au début mais il changea d’avis pour doubler le poids  quand il fut tout près. Au moment où Bob allait prendre le fil terminal, il reçut coup sur coup deux téléphones qui ne manqua pas de l’énerver : « ce n’est pas le moment, nous avons un marlin en ligne, rappelez plus tard ». Puis il dut relâcher la ligne la première fois car le marlin n’avait pas fini de faire des siennes. Il sauta encore juste devant le bateau et reparti pour un petit tour en me laissant désespéré de toute la  ligne à récupérer car à ce moment j’étais certainement plus fatigué que lui. Je lui parlais: « come back baby, don’t be afraid, come back to papa ».

Notre ténacité eut finalement raison de lui et enfin Bob le tint enfin par le rostre. C’est alors que le moteur se mit à hurler et Bob dû le relâcher pour tourner la clé de contact de toute urgence. La troisième fois fut la bonne et Bob put taguer le poisson et moi le photographier avant de le laisser partir. Vous voyez, quant je vous dis qu’il faut un peu de chance pour sortir un beau poisson. Il s’agissait d’un marlin rayé (le même que sur ma carte de visite) d’un poids estimé entre septante-cinq et cent kilos avec de magnifiques yeux bleus pris après plus d’une heure de dure lutte. Mon premier marlin et une grosse cerise sur un gâteau déjà bien chargé. L’apothéose de mon séjour en Nouvelle-Zélande.

CONCLUSION

J’évalue un voyage de pêche en fonction de trois critères d’importance équivalente. Un tiers revient aux  facteurs humains à savoir la qualité d’un guide, la sympathie que j’éprouve pour un groupe de pêcheurs, l’organisation du voyage, la cuisine, le logement, … Un autre tiers revient à l’environnement naturel : la beauté d’un site, des rivières, la quantité et la qualité piscicole mais aussi la présence d’autres  animaux (loutre, castor, ours, caribou, cerf, …) sans oublier les conditions météorologiques. Le dernier tiers revient à la pêche : quantité et taille des poissons pêchés par rapport au type de poisson cherché.

Les deux premiers critères ont été excellents en Nouvelle-Zélande avec cependant un gros bémol en raison de la pluie incessante qui m’a vraiment gâché en partie ma pêche. Je reste perplexe par rapport au bilan à tirer de ma pêche car d’un côté je n’ai pris « que » quatre-vingt truites environ pour un poids moyen de deux à deux kilos et demi. Je pense que j’aurai pu faire bien mieux avec de meilleures conditions climatiques mais ainsi en va-t-il dans ce pays. En même temps, je ne me sens pas le droit de me plaindre compte tenu de la taille exceptionnelle de certains poissons. Alors je laisse la discussion ouverte et je serai heureux d’avoir les avis et les commentaires sur mon forum par d’autres pêcheurs ayant ou non déjà pêché en Nouvelle-Zélande.

SILVIO CALDELARI 

"LA LÉGENDAIRE"

le trophée : 10 livres

l'exceptionnelle:15 livres

"LA SECRÈTE"

 

 

  

 

  

   

ma robe préférée

"LES   JUMELLES"

           Silvio

ÎLE   DU   NORD

ROSS  HAMILTON

         Ross

MARK  DRAPLER

Mark

petit snapper

BOB   ASH

retour à la page du lieu

retour à la page principale